Portrait de Vincent Colliard, athlète d’endurance basé dans le Nordland

Publié le 15 octobre 2025
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Vincent au pôle Sud tenant le drapeau norvégien et le drapeau français dans ses mains
Au pôle sud © Vincent Colliard

Il y a quelques mois, j’étais à Nørrona House pour assister à la présentation d'un explorateur polaire qui avait battu le record du monde de vitesse pour rejoindre le pôle Sud en autonomie totale. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que c’était un compatriote français basé en Norvège ! J’en ai profité pour faire cette (longue) interview de Vincent (@vincentcolliard), qui nous raconte son parcours singulier, ses motivations et sa connexion à la Norvège.

Quand et pourquoi es-tu arrivé en Norvège ?

Quand j'étais jeune adulte, je voulais absolument rencontrer Børge Ousland, une légende norvégienne de l'exploration polaire. J'étais fasciné par les histoires des Vikings et par ces types qui partaient comme ça, en autonomie complète, vers les pôles. Je suis venu en 2010 pour rejoindre Børge sur une expédition et j’y ai vécu en intermittence depuis cette date.

J’y ai trouvé de nombreuses qualités comme l’accès à la nature et la sécurité. Dans le nord de la Norvège, on ne ferme pas vraiment nos portes à clé, que ce soit la maison ou la voiture. Tout reste ouvert. Je me suis donc installé officiellement en Norvège, avec ma femme canadienne, dans un endroit proche des îles Lofoten il y a environ cinq ans maintenant.

Quel est ton parcours ?

J’ai grandi dans le Pays basque et j'ai un diplôme d'école de commerce, mais je me suis vite dit « Impossible de bosser de 9h à 17h ! ». J’ai donc commencé à partir en expédition et j’ai fait divers boulots pour apprendre des choses utiles, comme pécheur au Nord de la Norvège.

Vincent tenant un poisson dans la main sur un bateau de pêche, de nuit
Sur un bateau de pêche © Vincent Colliard

En mai 2022 j’ai aussi conduit une ambulance remplie de matériel médical depuis le Royaume-Uni jusqu'à Kharkiv en Ukraine, à 10 km du front à l'époque. On a laissé l'ambulance là-bas, et on est rentrés en train à travers le pays. C'était une expérience qui rend très humble. Voir les roquettes dans le sol, les gens en pleurs, sentir l'atmosphère lourde d'un pays en guerre... Ça remet beaucoup de choses en perspective.

Vincent en Ukraine devant l'ambulance
Arrivé en Ukraine avec l’ambulance © Vincent Colliard

Parlons de ton record réalisé en janvier 2024 : 1 140 km depuis Hercules Inlet jusqu’au pôle Sud en 22 jours, 6 heures et 8 minutes. Qu'est-ce qui t'a poussé à te lancer dans ce défi et comment t'y es-tu préparé ?

À l'origine, en 2022 et 2023, mon projet était de skier seul et sans assistance jusqu'au pôle Nord depuis le Canada. Tout était prêt, l'équipement, la nourriture... Mais ces deux années, la base flottante russe Barneo, essentielle pour le rapatriement depuis le pôle Nord vers le Svalbard, n'a pas été opérationnelle. Mon rêve a été anéanti. C'est un rappel que l'Arctique est un océan gelé, pas un continent.

Face à ces annulations, l'idée du record de vitesse au pôle Sud s'est imposée. Mon ami norvégien Christian Eide détenait l'ancien record. J'ai organisé toute ma vie autour de ce projet : je m'entraînais une demi-journée presque tous les jours : ski de fond ou ski-roues. J'ai même pris un job sur le glacier de Svartisen, dans le nord de la Norvège, juste pour pouvoir continuer à skier l'été. Peu avant le départ, je suis allé m'entraîner en altitude dans les Andes.

Mentalement, le plus grand atout, c'est que Caroline, ma femme, est tombée enceinte fin 2023. C'est sûrement de là que j'ai puisé cette énergie supplémentaire. C'était maintenant ou jamais !

Selfie de Vincent avec de la glace accumulée sur la barbe et la casquette
Selfie © Vincent Colliard

À quoi ressemblait une journée type de ta traversée ?

  • Réveil à 7h. Pendant que le réchaud chauffe l'eau pour le petit-déj' et la journée, je m'occupe de mes pieds et de mon visage (soins, crème solaire).
  • Ensuite, je range méthodiquement mes affaires dans la tente pour limiter les allers-retours dehors avec la pulka (le traîneau traditionnel des expéditions polaires). Toujours les mêmes gestes, avec rigueur.
  • À 8h, j'appelle la base logistique pour donner ma position GPS et connaître la météo.
  • À 9h, je commence à skier. Je ne fais des pauses que si c'est absolument nécessaire, 2 à 4 minutes maximum. Pas de doudoune pendant les pauses, mieux vaut avoir un peu froid pour repartir vite.
  • Vers 21h/22h, je m'arrête, je monte la tente. Je réchauffe l'eau restante pour le dîner et je fais fondre de la neige pour le lendemain. J'essaie de m'allonger le plus tôt possible pour reposer mes jambes.
  • À 23h, j'appelle ma femme Caroline pour savoir si elle et le bébé vont bien.
  • Vers 23h15-23h30, extinction des feux.

Ça fait quoi d'être seul si longtemps, si loin de tout ?

Les dix premiers jours du voyage, le temps était mauvais et j'étais vraiment au bord du découragement. J’ai dû composer avec un « whiteout », un phénomène optique atmosphérique particulièrement présent dans les régions polaires : les contrastes sont nuls et tout semble enveloppé d'une lueur blanche. Il est difficile voire impossible de discerner l'horizon ce qui fait perdre le sens de la profondeur et de l'orientation. J'ai dû me battre comme un loup pour rester dans la course. Puis le ciel bleu a fini par arriver et j’ai adoré ! C'est un luxe d'être seul en Antarctique. Un retour à l'essentiel, au basique. Une fois sur le terrain, j'ai essayé d’écouter des podcasts trois fois, mais j'ai immédiatement remarqué que mon rythme diminuait. J'ai donc fini par ne pas écouter les plus de 150 podcasts que j'avais téléchargés. Je n'ai écouté que de la musique pendant 22 jours. principalement du rock, du hip-hop et de la musique électronique, avec un minimum de 120 bpm.

Trâce du traineau avec vue sur la grande étendue de l'Antarctique
Tout seul en Antarctique © Vincent Colliard

Avec Caroline, vous vivez maintenant à Steigen dans le Nordland, pourquoi ce choix ? Avez-vous réussi à créer un cercle social ?

Je suis tombé amoureux du Nord lors de plusieurs voyages. C'est aussi là que Børge Ousland a une île où il a construit un petit resort. J'y ai passé des étés et j'ai trouvé la qualité de vie extraordinaire. Avec Caroline, nous nous sommes rencontrés lors d'une expédition que je guidais en Péninsule Antarctique. Elle était la réalisatrice du documentaire et avait aussi passé du temps en Norvège. Elle y a vu, comme moi, la qualité de vie, le système social, la sécurité, la confiance, le calme, la nature... tout ce qu'on aime.

Nous sommes bien intégrés dans la communauté, notamment grâce au lien avec Børge. Mais on a trouvé un équilibre : on passe maintenant l'hiver à Lillehammer, environ six mois par an, et le reste du temps, si possible, dans le Nord l'été. Les hivers à Steigen sont un peu trop pluvieux…

Comment as-tu appris le norvégien ? Avec le dialecte du coin ?

Je l’ai appris tout seul, en immersion. Je pense que j'ai le plus appris en commençant à répondre à des e-mails en norvégien. J'ai aussi demandé à mes contacts chez Nørrona, Helsport, etc., de m'écrire en norvégien. J'essayais de répondre en cherchant juste un mot ou deux sur Google Translate, sans traduire des phrases entières. Ça prenait plus de temps, mais ça m'a forcé à construire mes phrases. J'ai aussi passé beaucoup de temps avec des Norvégiens, à les écouter parler. Malgré tout, je comprends plus facilement les gens d'Oslo que ceux de mon village, qui ont un dialecte prononcé.

Avec toutes ces longues expéditions et la pratique du ski, de l'alpinisme... Est-ce que tu n’as pas peur parfois ?

Oui, bien sûr que j'ai peur. Mais j'essaie d'utiliser cette peur pour ne pas faire d'erreur. En même temps, il y a une partie de moi qui accepte complètement le risque. Si un jour ça se passe mal en expédition... Je sais que tout peut arriver. J'aime bien la philosophie qu'on prête aux Vikings, celle du Valhalla : ils allaient de l'avant, faisaient des expéditions incroyables, et crainte de la mort ne les paralysait pas. Ils ne vivaient pas dans l'anxiété, du moins c'est l'image qu'on en a. C'est une philosophie qui me parle. Après un combat comme celui pour le record en Antarctique, tu te sens assez... invulnérable. Ce n'est pas de l'arrogance, mais plus rien d'autre ne t'atteint de la même manière. Je suis dans une sorte d'état d'euphorie permanent depuis.

Quel est ton prochain défi ?

Mon projet en cours avec Børge est « Ice Legacy », c'est une série d'expéditions pour traverser les 20 plus grandes calottes glaciaires de la planète. L'idée est de lier l'aventure et la science, de témoigner des changements. J'aimerais que ça ait un impact, un peu comme l'expédition TransAntarctica de 1989 menée par Will Steger et Jean-Louis Étienne. À leur retour, ils ont œuvré pour que l'Antarctique reste protégé de l'exploitation minière. C'est ça, le vrai sens d'une expédition, selon moi. En 2025 on vient de finir la première traversée en autonomie complète de l'île d'Ellesmere, tout au nord du Canada !

Et en plus de ce projet long terme, j’organise des expéditions avec Børge et Caroline via Ousland Explorers.

Børge faisant des prélèvements de glace
Børge faisant des prélèvements de glace © Vincent Colliard

Comment vois-tu le changement climatique impacter ton activité et tes futures expéditions ?

Clairement, l'impact est énorme. Je rêve depuis longtemps d'aller seul sur l'océan Arctique jusqu'au pôle Nord. Mais avec la diminution drastique du volume de glace, cette expédition devient de plus en plus difficile, voire impossible. La base Barneo n'a pas été montée depuis six ans. Sans elle, les secours sont quasi impossibles. Les pilotes ne peuvent plus atterrir sur la glace devenue trop instable.

Toutes ces aventures et le fait d'être témoin de l'accélération du changement climatique ont changé mon état d'esprit et ma façon de consommer des produits. Je garde toujours à l'esprit l'empreinte humaine. Je me pose la question : que puis-je faire pour réduire la mienne ?

Face à ce qui arrive à notre planète, j'agis à mon échelle : dons aux associations environnementales quand je rentre d'expéditions avec du plastique, consommation locale et de saison, et un arbre planté pour chaque voyage en avion.

Cependant, je suis confronté au défi de voyager à travers le monde, de me rendre dans des endroits reculés et d'essayer de réduire mon empreinte carbone en même temps. Je parle d'environnement et en même temps je suis loin d'être une personne parfaite. Je ne suis pas un héros et je suis plein de contradictions.

Pour finir, quel est ton endroit préféré en Norvège ?

Si j'ai le droit à deux saisons différentes : Lillehammer en hiver, sous la neige, et le glacier de Svartisen en été.

Svartisen
© Vincent Colliard

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