Portrait de Jason, le débrouillard du nord de la Norvège
J’ai connu Jason grâce aux … algorithmes d’Instagram ! J’ai vu passer les photos de ses travaux de charpente qu’il effectuait pendant l’hiver : lampe frontale pour avoir un peu de visibilité pendant la nuit polaire, feu de camp pour réchauffer les planches gelées, je vous laisse imaginer la galère.
Ancien militaire, il a un parcours atypique dont la résilience et la débrouillardise inspirera sans aucun doute plus d’une personne.
Quand et pourquoi es-tu arrivée en Norvège ?
Quand j’ai eu 18 ans, je me suis engagé dans l'Armée française en tant que parachutiste. J’y suis resté dix ans. Après plusieurs missions en Afrique et au Moyen-Orient, j’ai décidé de quitter l’armée, qui mérite son surnom de « la grande muette ».
Je suis rentré chez ma famille pendant quelque temps, mais j’avais des gros soucis de sommeil donc j’occupais mes nuits en travaillant dans des boîtes de nuit. Sur un coup de tête, en 2019, j’ai pris des billets d’avion pour passer 3 semaines de vacances à Oslo dans le but de me ressourcer. Au bout d’une semaine, j’étais déjà conquis par le pays et son atmosphère et j’ai annulé mon billet de retour.
Comment se sont passés tes premiers mois à Oslo ? As-tu pu trouver un emploi facilement ?
N’ayant pas de diplôme et seulement de l’expérience dans l’armée, je me suis mis en tête de trouver n’importe quel job pour démarrer. J’ai parcouru la ville à pied en long, en large et en travers. J’ai fini par trouver un poste chez un sous-traitant de Posten via NAV. C’était chiant, uniquement de nuit (8h) et très mal payé. Je devais utiliser ma propre voiture, en l'occurrence celle d’un coloc qui me la prêtait, pour les livraisons et j’étais payé 300 kr / nuit. Sans surprise, il n'y avait aucun norvégien dans l’équipe.
J’ai cependant fini par avoir un CDI chez eux, ce qui fait que j’ai pu obtenir mon d-nummer. J’ai vite démissionné et j’ai travaillé comme livreur de journaux et barman, via des offres trouvées sur LinkedIn. Mais surtout, une amie que je me suis faite sur place m’a présenté au gérant de Kaffebakeriet qui a accepté de donner sa chance à un ex-militaire. Sans expérience, j’ai donc travaillé dûr pour apprendre les bases du métier de boulanger.
Quelques mois plus tard, je suis allé en long week-end à Tromsø avec un collègue de la boulangerie et je suis tombé sous le charme du nord de la Norvège.
Comment se sont passés tes premiers mois dans le nord de la Norvège ?
Je n’ai pas réussi à trouver de travail de suite, mais à force de chercher j’ai fini par trouver une offre intéressante via l’association agricole landbruknord.no. J’y ai déposé mon CV et j’ai été contacté par la propriétaire d'une ferme de vaches laitières. La ferme était équipée de deux gros silos de récoltes, qu’il fallait remplir d’herbes pour les animaux. Par la même occasion, je m’occupais des vaches. Je n’avais aucune expérience dans ses activités mais la propriétaire, Merete, m’a donné une chance.
J’étais logé gratuitement dans une vieille maison sur sa propriété. À la fin de la saison, quand le travail était fini, elle a accepté que je loge plus longtemps, du moment que je construisais une petite étable dont elle avait besoin. C’est à ce moment que j’ai commencé à poster des photos et « stories » de mon travail de charpenterie sur mon compte Instagram. Disons que travailler pendant la période de nuit polaire, avec des planches gelées et sans électricité, m'a bien occupé.
Les conditions pour les petites fermes sont difficiles ici. Une fois l’étable achevée elle n’avait plus de travail pour moi (ou surtout plus de quoi me payer), mais au final je loge toujours dans cette maison.
Qu’as-tu fait après ?
J’ai travaillé comme charpentier et bûcheron dans une scierie, Dividalsbygg, pendant 3 à 4 mois. J’ai trouvé ce travail par bouche à oreille. Leurs camions passaient souvent devant la ferme, et le propriétaire de la scierie est un cousin éloigné de Merete. D’ailleurs, cette entreprise expose en ce moment de manière éphémère à Oslo un sauna en bois près de l’Opéra !
Saunas dans le fjord d'Oslo
Comme la scierie était située trop loin de la vallée de Tamok pour faire l’aller-retour journalier, le patron m’a proposé de rester dans une de ses châlets à proximité. Le logement n’avait pas l’eau courante et juste un peu d’électricité. Il fallait juste éviter d’utiliser la lumière en même temps que la bouilloire.
Une vraie aventure ! J’imagine que c’était aussi un travail difficile ?
L'écorçage des troncs était notamment très physique. Même quand il faisait -25ºC dehors je le faisais en t-shirt ! Malheureusement dès que je m’arrêtais, je devais me rhabiller illico presto sinon la sueur sur mon t-shirt gelait instantanément et j’avais un t-shirt raide. Je me suis fait avoir quelques fois au début.
Pendant mes quelques mois sur place, je me suis aussi cassé deux côtes en glissant sur de la glace et je me suis aussi cassé un doigt à cause de deux troncs qui ont glissé.
Est-ce que depuis tu as trouvé un emploi un peu plus calme ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup des gens quand j’étais à Tromsø, ainsi que dans la vallée de Tamok où je vis. Quand j’ai vu passé une offre de Petit Futé en Norvège (pour trouver des entreprises qui veulent apparaître sur leur site web et sur leurs guides papier) j’ai tenté ma chance, et j’ai eu le poste ! J’ai du créé mon auto-entreprise, que j’utilise aussi en tant que tour opérateur (Bourne Nordic Tracks).
Il y a un camp (Camp Tamok) à côté de chez moi avec beaucoup de passage. J’y travaille aussi en tant qu’animateur et gérant des shifts de nuit. Je fais aussi guide privé pour des randos raquettes, et la chasse aux aurores boréales. Et je co-gère un lodge avec un ami.
As-tu pu bien t’intégrer avec les locaux ?
Je trouve les norvégiens du nord très sympathiques et ouverts. Via le camp Tamok j’ai rencontré Fredrik avec qui je pense énormément de temps et qui m’a présenté à ses amis.
Une à deux fois par semaine (environ 6 heures), Fredrik et moi sommes bénévoles dans une association locale nommée møteplassen. Notre rôle est équivalent aux médiateurs de cité en France, mais pour les jeunes en campagne de 14 à 19 ans. Il y des familles qui n’ont pas assez d’argent pour payer des activités ou clubs sportifs pour les enfants, et du coup en hiver ces jeunes sont très enfermés. Nous organisons donc des événements avec la Croix Rouge ou la commune. Et apparemment ils sont assez contents d’avoir un étranger pour les aider !
Est-ce que tu conseillerais cette aventure à tout le monde ?
Ce n’est pas mon rôle de dire aux gens ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas tenter, mais c’est vrai que je vis dans une région où il fait vraiment froid l’hiver. J’habite dans une maison d’été, pas isolée pour l’hiver, donc en ce moment je dois absolument mettre le réveil pendant la nuit pour remettre du bois dans la cheminée, sinon il fait négatif à l’intérieur. En dessous de -20ºC, il faut que je mette deux réveils dans la nuit. Si je suis trop fatigué et que j'oublie, je retrouve pas mal de choses gelées le matin, comme du lait. L’hiver dernier les canalisations ont même explosées, pour pouvoir avoir de l’eau j’ai dû faire fondre de la neige pendant deux semaines.
On peut également être bloqué à cause des avalanches, comme en ce moment même. Les habitations de la vallée de Tamok sont bloquées depuis une semaine. Mon voisin est la personne qui nettoie les routes et il est donc bloqué avec nous ! Du coup, il a établi une sorte de point de ravitaillement à 25 km (avec d’autres fermiers de la vallée), et il y a des aller-retours réguliers en motoneige pour nous ravitailler en nourriture et médicaments. À cause de ces avalanches on a aussi souvent des coupures d'électricité.
Tout cela rend la vie un peu plus difficile, mais ça a son charme. Je me plais bien ici.
Quels sont tes plans pour le futur ?
Je souhaiterais construire mon propre chalet dans les environs, mais il va me falloir gagner plus qu’actuellement. C’est pour ça que je cherche activement à bosser sur une plateforme pétrolière. J’espère que cela me permettra de réaliser mes plans.
Pour finir quel est ton endroit préféré et pourquoi ?
Le lac de Rostadalen ! C’est reposant, magnifique à l’écart, silencieux. C’est la bas que je rêve de construire mon chalet 🙂.
Rostavatn lors de différentes saisons