Portrait de Delphine, entrepreneur, navigatrice et musher en Norvège du Nord

C’est le hasard qui m’a fait rencontrer Delphine, lors de la fête d’anniversaire d’un ami dans la région de Målselv, à quelques heures au sud de Tromsø. Nos chemins se sont re-croisés quelques années plus tard, et j’en ai profité pour rédiger son portrait - et son incroyable parcours.
Quand et pourquoi es-tu venue en Norvège ?
Je suis arrivée pour la première fois en Norvège en février 2013, par un concours de circonstances, afin de travailler à bord d’un navire qui emmenais des skieurs français explorer la région des Alpes de Lyngen, au nord de Tromsø.
Accompagnés d’un guide de haute montagne, il partaient en ski de randonnée, de sommet en sommet et de fjord en fjord, tandis que nous assurions la logistique à bord du navire, utilisé comme un « refuge flottant ». Étant marin de formation et ayant grandi en région Grenobloise, j’ai toujours eu un attrait particulier pour la nature et les grands espaces. Je suis donc revenue chaque année travailler lors de cette escapade norvégienne.
En 2015, mon brevet de Capitaine 500 en poche, je suis finalement devenue skipper, et on m’a offert la responsabilité de conduire le bateau. J’ai eu un coup de foudre pour la nature en Norvège du Nord, on ne trouve pas grand chose de comparable - autant de nature sauvage, et à une telle échelle - en France, ni ailleurs en Europe. Chaque année, je restais un peu plus longtemps dans l’arctique, jusqu’à finir par y rester, tout simplement.
Comment es-tu devenue officière de la marine marchande ?
J’ai grandi en Isère, plus précisément en région Grenobloise, où j’ai également débuté mes études universitaires. J’ai aussi fait une année de césure en tant que bénévole dans une école de parapente au Népal - mais ceci est une autre histoire… À mon retour d’Asie, je suis partie en Bretagne pour me former au Brevet d’État d’Éducatrice Sportive en Voile Habitable, puis à plusieurs brevets de la marine marchande : Capitaine 200 et Capitaine 500. Après quoi, et afin de finaliser mon cursus maritime, j’ai réalisé un master à l’Université de Bretagne, tourné vers l’Expertise et la Gestion en Environnement Littoral.
Une fois mon master terminé, je souhaitais avant tout partir en mer, naviguer, acquérir «des milles sous la quille » comme on dit dans le jargon maritime. J’ai eu la chance d’embarquer à bord de plusieurs navires emblématiques ; le 3 mâts Belem et la goélette Étoile de la marine Nationale, entre autres.

Y a t-il eu un déclic qui t’as poussé à t’installer à temps plein en Norvège ?
Non, pas vraiment, cela s’est produit progressivement et de manière « organique », presque sans que je m’en aperçoive! Bien sûr, moi qui avait une passion pour la mer et la montagne, j’ai toujours eu en tête que la Norvège était l’un des rares endroits qui allie les deux avec autant de proximité.
Je travaillais en tant que skipper sur ces séjours « bateau - ski » pour un armateur norvégien, et lorsqu’il a commencé à élargir son activité, mon temps dans les eaux norvégiennes a simplement augmenté. Je suis partie travailler pour lui au Spitzberg, à bord d’un ferry qui réalisait les navettes entre les différents villages (Longyearbyen, Pyramiden et Barentsburg). Cela a été une très belle découverte, un lieu hors du temps, couvert à 60% de glaciers, et habité - entre autres - par les ours polaires. Le mal était fait, je ne me voyais plus vivre ailleurs, et je m’y suis donc installée, afin de découvrir tout ce que l’arctique avait encore à m’offrir, de la nuit polaire à la navigation dans les glaces, en passant par une petite communauté hétéroclite et soudée…
Qu’est-ce qui t’as poussé à t’installer entre Tromsø et Senja ?
C’est un longue histoire, et encore une fois, pas vraiment en ligne droite!
Ayant décidé de passer l’hiver au Spitzberg, je me suis retrouvée à travailler pour un musher local, qui avait besoin de bras pour s’occuper de ses chiens. Ça a été un révélation. Les chiens étaient tellement gentils, et à leur place dans cette immensité neigeuse, c’était une nouvelle manière d’explorer, en harmonie avec la nature. Lors d’une course d’attelages locale (« la course des Trappeurs ») j’ai eu la chance de rencontrer Espen, musher norvégien installé dans une petite ferme typique de Norvège du Nord, entre Tromsø et Senja. Quelques mois plus tard, nous emménagions ensemble. Liés par notre passion commune, nous n’avons pas tardé à créer notre entreprise, OffTrack Experience (@offtrackexperience), afin de faire découvrir ces grands espaces que nous aimons tant à nos visiteurs.
Comment est venue l’idée de créer Offtrack Experience ?
Ça a été une évidence. Espen est musher, et je suis marin. Nous avions tous les deux de l’expérience dans le tourisme, sous des facettes différentes. Nous avons juste décidé de mettre en commun nos compétences, et voir si nous pourrions réussir à en vivre. Et jusqu’à présent cela fonctionne plutôt bien ! Nous proposons tout un panel de séjours et en toutes saisons, que ce soit avec notre meute de 35 huskies d’Alaska - depuis la ferme ou en itinérance - ou bien à bord de notre voilier et autour des fjords.
La ferme où nous vivons se situe entre Tromsø et Senja, elle est composée de plusieurs chalets en rondins, du chenil pour les chiens, et de 110 hectares de forêt. Tous nos chiens sont nés à la maison, et nous n’en vendons aucun. Les plus jeunes ont 4 mois, et le plus âgé, 15 ans. Ils font partie de ma famille. Nous avons aussi 2 employés à plein temps qui nous aident à prendre soin des animaux et des bâtiments.
Photos du corps de ferme
Le reste du temps, nous sommes souvent avec le voilier et dans notre chalet en bord de mer, à Reinfjord, un hameau de pêcheurs sans aucun accès routier, et uniquement accessible par la mer. Nous organisons des séjours toute l’année depuis ces deux lieux. Ski-voile, observation des orques et des baleines, chien de traîneau… Nous vivons avec les saisons.
Quelles sont vos activités ?
Nos activités sont généralement saisonnières.
À l’automne, nous préparons la ferme pour l’hiver : bois de chauffage, maintenance des chalets et derniers coups de peinture à l’extérieur, entraînement des chiens en kart et quad, et surtout, nous remplissons les congélateurs avec plein de bons produits, de la viande de notre chasse à l’élan - mais aussi toutes les baies qui poussent chez nous, myrtilles, airelles, mûres arctiques et framboises.
Courant novembre, nous sommes occupés avec les séjours d’observation des orques et des baleines, depuis notre chalet à Reinfjord, et avec le voilier. Il s’agit principalement de familles qui viennent pour une semaine, s’immerger dans la vie des fjords, observer les cétacés et les aurores boréales, et faire une bonne coupure avec leur quotidien.
La neige arrivant, nous proposons des excursions à la journée et séjours à la ferme avec les chiens. À la période des fêtes nous avons beaucoup à faire - il semblerait que le monde entier vienne nous rendre visite pour faire du chien de traîneau et voir des aurores boréales !

De janvier à mars, nous sommes principalement en séjours itinérants, ou chaque participant a son propre attelage, et ou nous nous déplaçons en chien de traîneau, de refuge en refuge, dans les grandes étendues blanches.
Au printemps et jusqu'à mi-mai nous sommes de retour à Reinfjord. C’est la meilleure période de l’année pour profiter de la neige, et nous assurons la logistique des séjours de ski - voile depuis le chalet.
L’été nous soufflons enfin un peu, il est temps de prendre des vacances, de s’occuper du jardin (nous avons un grand champ de pommes de terres et aussi beaucoup de fraises et de rhubarbe), et il est temps de faire un grand ménage après l’hiver ! Et nous préparons de nouveau notre bois de chauffage pour les hivers à venir, c’est une histoire sans fin…
Après plusieurs années passées dans un lieu relativement isolé du nord de la Norvège, as-tu des regrets ?
Je ne crois pas avoir tellement de regrets, sinon je ne serais pas restée ? Je ne crois pas non plus me sentir si isolée que ça. C’est juste que les infrastructures sont construites différemment qu’en France, et moins regroupées, mais elles sont bien là. Piscine, bibliothèque, cinéma, grandes surfaces sont à 30 minutes de voiture maximum. Il ne faut pas avoir de grands besoins en termes de vie sociale très active, mais si c’est le cas, je vis dans un paradis de nature, au rythme de la nature, et c’est un privilège.
Ce que j’aime retrouver en France et que je n’ai pas ici en Norvège, c’est la diversité des paysages et régions, et surtout, les fruits et légumes de saison, la gastronomie locale, l’architecture et la culture si présentes de partout.
Pour finir, quel est ton endroit préféré en Norvège ?
Question difficile ! Je ne connais pas si bien la Norvège, à part ma région dans le nord.
J’aime beaucoup être en mer, et j’ai vraiment un coup de foudre pour Reinfjord (ou nous avons la maison au bord de l’eau), et pour le fjord de Kvænangen en général, qui a une histoire particulière, avec les influences Viking, Sami et Kvènes.
Mais plutôt qu’un endroit en particulier, je dirais que cela vaut le coup d’explorer la côte par la mer. Il s’agit d’un pays doté d’un immense littoral, riche d’histoire et de paysages, et de recoins tous plus sauvages les uns que les autres…

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