Portrait de Juliette, luttant contre la pollution plastique sur les côtes norvégiennes
Juliette est venue en Norvège pour faire du volontariat dans l’association « In the same boat (ITSB) » qui nettoie les côtes norvégiennes des déchets plastiques et éduque sur la pollution plastique.
Peu de personnes, moi le premier, se rendent compte à quel point les côtes norvégiennes sont souillées. Ce portrait permet de découvrir le parcours de Juliette et les actions de l’association.
Quand et pourquoi es-tu arrivée en Norvège ?
En 2019, j’étais ingénieure dans la filiale d’une banque qui faisait de la location de voiture. J’avais une bonne mission, j’aimais bien mes collègues, et j’avais une situation stable. Mais malgré tout, le métier ne me convenait pas. Je voulais un métier plus concret. Je rêve d’aventure depuis que je suis toute petite : Robinson Crusoe, les explorateurs et la notion de survie me fascinent. Je n’étais jamais partie pour de bon parce que je ne voulais pas lâcher mon sport, le rugby. Comme c’était la seule chose qui me retenait, quand je me suis blessée assez sérieusement pour ne pas reprendre, je me suis dit que c’était le moment de partir ! J’ai d’abord passé un peu plus d’un mois à accueillir des couchsurfeurs, une quarantaine de personnes qui m’ont chacune convaincue un peu plus que je voulais vraiment faire autre chose. Une de mes invitées m’a parlé de workaway. J’ai trouvé assez rapidement un article sur le « workaway du mois » : In the same boat. Les photos m’ont rappelé l’ambiance internationale que j’aimais tellement, et la mission remplissait mon seul critère : comporter du travail physique. Je ne suis pas du tout partie dans l’optique de combattre la pollution, mais de passer un bon moment avec une équipe internationale, dans des conditions sportives et peu communes.
Dès que j’ai eu la réponse positive d’ITSB, j’ai donné ma démission, et c’est ainsi que je me suis retrouvée à Sandnessjøen (Helgeland) mi-mars 2020, deux jours avant la fermeture des frontières norvégiennes !
Peux-tu présenter en quelques phrases l’association « In the same boat » ?
C’est une association norvégienne qui a pour but de combattre la pollution maritime due au plastique. Elle est constituée d’une équipe de salariés, capitaines et skippers, qui encadrent des bénévoles. L’avantage de cette association par rapport à la plupart des autres organisations qui ramassent les déchets plastiques sur la côte est qu’elle possède du matériel professionnel, notamment des bateaux à moteur, qui permettent d’accéder à des îles et des baies difficiles d’accès. Ces bateaux nous permettent de rapporter plusieurs tonnes de déchets par jour. Nous, les bénévoles, ne sommes pas payés, mais sommes sélectionnés et formés comme de vrais professionnels. La durée minimum de bénévolat est de deux mois, donc la proportion de formation n’est pas énorme (1-2 semaine avant d’être 100% efficace).
La plupart des membres de l’association et des bénévoles vivent sur des bateaux à voile. Cela permet de réduire les coûts (logement et transport combinés), donne de la flexibilité (pas besoin de rester plus longtemps que nécessaire dans un endroit donné), soude l’équipe, et attire les bénévoles.
Nous avons un plan de 5 ans pour nettoyer la totalité de la côte norvégienne. La mission principale et la plus visible d’ITSB est de nettoyer les côtes (norvégiennes pour l’instant). Nous ramassons plusieurs tonnes par jour. Ce qui est terrible, c’est que nous ne pouvons ramasser que ce qui s’échoue sur les plages, mais ce n’est qu’une infime partie de tout ce qui tombe dans l’eau. Quand je vois l’état des plages, je me demande à quoi ressemblent les fonds marins !
C’est pourquoi ITSB a un deuxième objectif, qui est peut-être plus important encore ; il s’agit de sensibiliser les gens à ce qui se passe. Nous avons besoin de changer la société, la politique, les comportements, l’échelle des valeurs. Pour cela, il faut que les gens se sentent concernés. Beaucoup de bénévoles sont choqués par la quantité de plastique que nous trouvons, et de ce choc naît pour beaucoup un réel engagement. Nous essayons de transmettre ce que nous ressentons en découvrant des îles où on entend les bouteilles en plastique craquer sous l’herbe, où on voit des bidons d’huile de moteur polluer l’habitat de toutes sortes d’animaux.
Il faut que les politiques et les industriels sachent ce qui se passe, et qu’ils se rendent compte à quel point on rend des endroits magnifiques horribles.
La troisième mission d’ITSB est d’analyser les déchets trouvés. Plusieurs fois par an, nous ouvrons tous les sacs de déchets trouvés sur un archipel, trions les déchets, les pesons, pour comprendre d’où vient la pollution.
Peux-tu nous décrire ta ou tes missions du quotidien ?
Pour ceux qui préfèrent regarder une vidéo, voici celle de notre sponsor qui décrit bien une journée type : A Typical Day with In the Same Boat.
Sinon c’est très simple : nous partons le matin avec un bateau de travail vide, et nous allons d’île en île jusqu’à ce qu’il soit rempli de déchets ! En fonction de la taille des îles et du nombre de bénévoles, le skipper nous dépose par groupes à différents endroits. Nous débarquons sur les îles avec nos rouleaux de sacs poubelles et ratissons l’île pour ramasser le plastique. Et les sacs se remplissent vite ! Quand nous revenons au port, nous avons un endroit où décharger les sacs. Vous pouvez aller voir sur la page Facebook d’ITSB, les tas sont vraiment impressionnants.
Lors du déchargement, on compte les sacs pour estimer la quantité ramassée - les déchets seront pesés plus tard, puis on trie les déchets pour les recycler au mieux.
Après, on a aussi tout ce qui est lié à la vie du bateau et à la vie en communauté : entretien, nettoyage, cuisine…
Combien de déchets plastiques récupérez-vous ? D’où viennent-ils ? Que deviennent-ils ?
En fonction de la configuration des îles, de la météo, du type de déchets, du nombre de bénévoles, et des bateaux de travail disponibles, on ramasse entre une demi-tonne et plusieurs tonnes. Pour te donner une idée, à 5 bénévoles à Bolga, avec un bateau on était à 1,5 à 2 tonnes par jour.
Les déchets sont principalement issus des industries de la pêche (80%). Il y a des filets, des bouées, des jerrycans… Je peux te dire que maintenant, je n’achète plus de poisson ! Plus on descend vers Bergen, plus on trouve des déchets directement issus de consommation personnelle - mais les pourcentages sont pratiquement les mêmes. 77% des déchets que nous pouvons identifier sont d’origine norvégienne !
© ITSB
Quand nous revenons d’une journée de travail, nous entassons les sacs à un endroit que les locaux nous ont autorisés à utiliser. Nous avons un partenaire, Ogoori, qui travaille sur un concept de réutilisation et recirculation du plastique. Ils ont besoin d’un certain type de plastique. Nous trions donc le « bon plastique » du « mauvais plastique »; une partie part chez Ogoori, et l’autre partie dans une entreprise de recyclage.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans le nettoyage des plages ?
Nous ne nettoyons en fait pas que les plages, mais les îles entières. C’est justement ça qui rend la chose parfois très difficile. On grimpe sur des collines, on s’enfonce dans l’herbe bien épaisse ou la boue quand on marche, on glisse dans les pentes, parfois on grimpe sur des rochers. Quand on fait tout ça avec un, deux, trois sacs de déchets remplis, le tout pendant 5 heures, on fatigue un peu !
Les filets de pêche en particulier peuvent être très difficiles à récupérer : ils sont lourds, s’accrochent partout quand on veut les traîner d’un endroit à l’autre, et parfois on doit les découper pour ne pas abîmer la végétation. Ils peuvent avoir des dimensions incroyables. Le plus gros pesait 3,2 tonnes !
Personnellement, ce que je trouve le plus dur psychologiquement, c’est d’arriver sur une plage avec des tout petits déchets. On met des heures à remplir les sacs, on a l’impression de ne pas avancer, et c’est dur de faire en sorte que la plage soit vraiment propre. Le polystyrène, c’est le pire !
Aperçu de l’état des îles et plages où ITSB se rend
Quels sont les déchets les plus saugrenus ou inattendus que tu as trouvés ?
On a trouvé pas mal de parties de poupées, c’est toujours très sympa de découvrir un bras ou une tête dans une crevasse sombre ! On a aussi des bouteilles avec des messages assez régulièrement.
Ce qui surprend aussi c’est le nombre de frigos ! Ils sont partout ! C’est probablement dû au fait que cela coûte cher de se débarrasser proprement de gros objets quand on habite sur une île.
Que penses-tu de cette expérience ?
Je suis convaincue que ça serait plus facile de régler les problèmes environnementaux actuels si chacun vivait une expérience comme celle-là, c’est-à-dire, au milieu d’une nature magnifique mais polluée. Cela permet de voir concrètement ce qui se passe, de voir la relation directe entre ce que l’on fait (notamment nos choix d’achats), et les conséquences que cela a sur la nature.
Plus personnellement, j’étais venue sans être particulièrement attirée par le côté écolo de cette mission, mais le fait de voir la quantité de déchets qu’il y a m’a juste fait réaliser qu’il y avait un problème. Ce n’est juste pas normal en fait ! Le fait de rencontrer des personnes comme le capitaine Rolf (co-fondateur d’ITSB) me donne envie de me battre pour faire changer les choses.
Au-delà de la dimension écologique, je me suis fait des amis extraordinaires, et j’ai vécu des moments incroyables. Nous étions vraiment proches de la nature, et nous vivions dans un monde à part. C’était comme un petit paradis sur terre (à nettoyer !).
Comment peut-on contribuer à notre manière ?
Cette question m’a empêché de dormir pendant des semaines !
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que vous pouvez trier, réparer/réutiliser/louer au lieu d’acheter du neuf, limiter vos déchets, ne pas les jeter dans les toilettes ou dans la rue, manger moins de poisson Malheureusement, cela n’est pas suffisant quand on sait que l’équivalent d’un camion poubelle de plastique est rejeté dans la mer chaque minute. C’est pour cela qu’avec des ancien·ne·s bénévoles d’In The Same Boat, nous avons décidé d’aller plus loin dans notre combat. Nous travaillons sur plusieurs axes, dont on entend moins parler quand on demande des conseils pour « vraiment agir ». Mais chacun peut s’investir dans ces directions.
1) Influencer les changements de loi
- en soutenant les études qui serviront de support à des projets de loi contre la pollution par le plastique;
- en votant, tout en faisant attention au greenwashing de certains partis;
- en se renseignant (lire des rapports de cabinets d’étude, comme Eunomia ; comparer leurs suggestions avec les lois actuellement en cours, et agir pour changer la loi dans ce sens).
2) Initier des changements dans le monde de l’entreprise
- en échangeant avec des personnes expérimentées dans différents domaines, et en connectant leurs savoirs pour trouver des solutions transverses;
- en organisant des « think tanks » entre plusieurs entreprises faisant face aux mêmes challenges de recyclage, perte de plastique dans la nature…;
- si on travaille dans une grosse entreprise, en suggérant la consultation de cabinets spécialisés dans la réduction des déchets
- en enquêtant soi-même dans son entreprise : est-il possible de réutiliser/réparer/diminuer la consommation de son entreprise ?
Si ces suggestions ne vous parlent pas, et que vous cherchez de l’inspiration, n’hésitez pas à me contacter ; j’ai de nombreuses autres suggestions, en fonction de vos intérêts et du temps que vous voulez investir ! Bien sûr, pour continuer à lutter contre la pollution plastique, In The Same Boat a besoin de soutien. Si vous souhaitez nous aider, vous pouvez le faire via leur page Paypal. Si vous connaissez des entreprises qui pourraient nous sponsoriser, vous pouvez me contacter directement.
Pour finir, même si tu as surtout vu la Norvège depuis un bateau, quel est ton endroit préféré et pourquoi ?
C’est vraiment difficile à dire ! Partout, nous avons été accueillis avec joie et bienveillance, chaque endroit était plus beau que l’autre … Je ne peux pas choisir !