Le guide pour s’installer et vivre en Norvège

Portrait de Fabrice, statisticien à l’agence nationale norvégienne de sécurité du médicament

Par Thomas Bassetto
Dernière mise à jour le 20 novembre 2020
Portrait de Fabrice

Fabrice est statisticien chez Statens Legemiddelverket, l’équivalent norvégien de notre Agence Nationale de sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Il fait partie des équipes chargées d’émettre leur avis sur l'autorisation de nouveaux médicaments et vaccins au sein de la Norvège, et indirectement de l’Union européenne via des coopérations entre pays. Comme l’on peut s’en douter, les dernières semaines ont été très occupées par la COVID-19, d’autant plus qu’il travaille sur le vaccin de Pfizer qui a beaucoup fait parler de lui !

Quand et pourquoi es-tu arrivé en Norvège ?

Fabrice : Je suis arrivé en Norvège en 2011. À la base, j’avais fait mes études en Suède et je travaillais en tant que chercheur dans le sud de la Suède depuis 5 ans. Nous pensions déménager, mais ma femme étant suédoise, et ayant deux enfants en très bas âges, nous voulions rester en Scandinavie. La Norvège est donc venue assez rapidement comme une bonne option. Le plan initial était d’y rester 2 ans avant de revenir en Suède, mais nous sommes restés car nous y avons trouvé notre bonheur.

Où travaillais-tu quand tu es arrivé en 2011 ?

J’ai commencé à travailler à l’université d’Oslo, en tant que chercheur dans la génétique de l’évolution et l’écologie. J’y suis resté jusqu’en 2018. J’ai eu l’occasion de pas mal voyager et de profiter d’un réseau international lié à l’université d’Oslo.

Mais je n’étais plus satisfait avec le système académique, j’ai donc décidé de chercher autre chose et je suis tombé par hasard sur une offre d’emploi à Statens Legemiddelverket, dont le travail consiste à réguler la mise sur le marché des nouveaux médicaments en Norvège, y compris vaccins et équipements électroniques médicaux (tout ce qui est médical et a un rapport thérapeutique). Ça fait maintenant plus de 2 ans que j’y travaille.

Les bureaux de Statens Legemiddelverket
Les bureaux de Statens Legemiddelverket © Statens Legemiddelverket

Qu’est-ce qui vous a fait rester en Norvège ?

Ma femme a également commencé à travailler à l’université d’Oslo, ce qui lui plaisait bien. Habiter à Oslo nous apportait un bon équilibre entre la nature et la vie culturelle, ce qui nous plaisait beaucoup. Même en ayant des enfants en bas âges, et en étant donc limité dans ce que nous pouvions faire, il y avait aussi la possibilité de faire des activités en hiver (avec les sports d’hiver) et en été (avec la mer). D’autre part, Oslo est une grande ville, avec une vie gastronomique et une vie culturelle qui nous a bien plu.

Avant de venir à Oslo, nous habitions à Lund, qui est une petite ville universitaire dans le sud de la Suède. Mais la ville d’Oslo permet de tout combiner sans avoir à aller dans une autre ville, comme nous avions à le faire en allant à Malmö ou à Copenhague. La nature suédoise est belle, mais celle d’Oslo est encore plus belle.

Peux-tu nous en dire un peu plus en quoi consiste ton métier ?

La majorité du temps, j’étudie des rapports qui sont envoyés par des entreprises pharmaceutiques qui ont des nouveaux médicaments ou vaccins à proposer et j’émets un avis positif ou négatif (avec toute une équipe de collègues avec chacun sa spécialité). Même si la Norvège n’est pas membre de l’Union européenne, elle fait partie de l’espace économique européen ; et à ce titre, elle fait partie de l’EMA (European Medicines Agency), qui correspond à l’organisme qui régule la mise sur le marché des médicaments dans l’UE, y compris en Norvège et en Islande. Bien que ces deux derniers pays participent à l’étude des dossiers de mise sur le marché et produisent des rapports avec avis positif ou négatif, ils n’ont pas le droit de vote, car ils ne font pas partie de l’Union européenne.

Le système pharmaceutique norvégien dépend donc énormément de l’UE. Cependant, même si des médicaments sont autorisés en Norvège au même titre que les autres pays d’Europe, chaque pays doit négocier son prix avec les entreprises pharmaceutiques. Ce qui peut créer des différences assez marquantes entre les pays : un médicament qui peut être acheté sans ordonnance en France, mais pas en Norvège, ou vice versa, médicaments pas forcément remboursés au même prix ou juste introuvable malgré leur autorisation.

J’imagine que cette année vous êtes pas mal occupés par rapport aux discussions liées aux traitements ou vaccins contre la COVID-19 ?

En tant que membre de l’EMA, la Norvège était déjà impliquée dans les discussions liées aux médicaments existants, par exemple au Remdesivir, pour traiter les malades atteints du COVID-19 avant l’été. Mais en plus de cela, nous avons en ce moment un rôle particulier par rapport aux vaccins (qui est une priorité désormais dans notre organisation), car la Norvège est l’un des 3 pays qui étudient les rapports issus du laboratoire Pfizer et liés au vaccin dont nous entendons parler actuellement.

Les données liées à ce vaccin viennent donc d'être mises à notre disposition, et nous donnerons notre avis détaillé avant qu’il n’y ait un vote par tous les pays membres. Il est très important de faire la différence entre ce qui a été annoncé dans les médias (correspondant à la communication faite par Pfizer), et la validation des données qui n’ont actuellement été vus que par un comité indépendant, composé d’un statisticien et d’un médecin. L’annonce d’une efficacité de 95% est une très bonne nouvelle, mais les données n’ont pour l’instant pas été validées. C’est donc positif, mais il faut relativiser. Et l'étude des effets secondaires sera aussi minutieuse et comptera autant dans l’avis que nous rendrons.

Par contre, il est vrai que les processus sont accélérés. Les délais d’étude des vaccins ont par exemple été réduits de 3 mois à environ 3 semaines, en augmentant les effectifs et en mettant la priorité sur certains dossiers par rapport à d’autres. C’est en tout cas positif de voir que la Norvège a un rôle important à jouer. Mais rien n’est bâclé ou négligé.

Fioles de vaccin contre le COVID-19
Vue d'artiste du vaccin Par Daniel Schludi

Les autres pays de l'UE ne seront-ils pas impliqués dans cette étude ?

Trois pays de l'EMA, dont la Norvège, seront impliqués. Les autres baseront leur décision sur nos rapports et les autres données qui auront été issues.

Est-ce qu’il y a d’autres vaccins à l’étude en ce moment ?

Oui il y en a plusieurs. Nous nous attendons peut-être à une quinzaine de vaccins annoncés pendant les deux prochains mois. C’est donc la course en ce moment, mais il est difficile de dire lequel aura l’autorisation en premier. Même s’il y a des annonces dans les médias, il y a toujours des compléments d‘information qui sont demandés aux laboratoires, et la décision dépend donc aussi de leur temps de réponse.

Ça va se jouer à peu de chose près, mais on peut espérer qu’il y ait un premier vaccin autorisé d’ici à janvier, voire avant. Après, il y a une grande différence entre l’autorisation temporaire, la mise sur le marché et la production du vaccin. Par exemple, il a été annoncé dans la presse que la Norvège aurait le droit à 2 millions de doses du vaccin de Pfizer (de quoi l’utiliser sur 1 million de personnes, car il faut 2 doses/pers.), mais il faut suffisamment de temps pour qu’il soit produit.

Même si le processus de mise sur le marché est accéléré, il y a ensuite un processus très rigoureux lié à la production, car la qualité de chaque batch de vaccin doit être surveillée. D’un point de vue réglementaire, il y aura des processus très rigoureux à mettre en place, et ça mettra donc beaucoup de temps pour produire un vaccin de qualité constante. Ce n’est pas parce que le vaccin fonctionne qu’il peut facilement être produit sur des millions de doses.

Que penser de l’annonce de Moderna et de son vaccin efficace à 95% ?

Comme dit précédemment, il est impossible d’émettre un avis et même inutile de commencer un quelconque débat sans avoir pu consulter les données brutes de leurs tests, mais ça reste aussi très prometteur. On peut s’en réjouir, mais prudence…

Que peux-tu me dire sur vos critères de sélection ?

L’un des points importants de mon travail est de regarder l’efficacité d’un vaccin ou d’un médicament, combien de temps dure l'immunité, empêche-t-il la propagation du virus ou prévient seulement les symptômes, etc. Mais en même temps, il faut trouver un point d’équilibre entre l’efficacité et la sécurité (à savoir les risques d’effets secondaires). L’intention pour ce type de vaccin est de le distribuer de manière massive, donc même si le taux d’effets secondaires n’est « que » de 0,01%, cela peut avoir des effets néfastes considérables lorsqu’il est administré à 5 millions de personnes. C’est pourquoi nous avons des processus très rigoureux pour rejeter tout effet secondaire grave. Je travaille en tant que statisticien et beaucoup avec les chiffres pour ce qui est de l’efficacité, mais s’il y a un risque d’effet secondaire grave, la sécurité est plus importante que les statistiques. Il faut savoir que les rapports que nous recevons des entreprises pharmaceutiques incluent beaucoup de données brutes, telles que la date et heure à laquelle un patient a développé des symptômes, quand est-ce qu’il a consulté son médecin, etc. On parle de milliers de pages et de tableaux de données. Nous avons donc vraiment la possibilité de fouiller dans les détails et de ne pas laisser passer certaines choses. Et les trois pays impliqués dans les études rendent leur avis de manière indépendante, complétés par tous les autres pays membres.

Zoom sur des données brutes (plein de chiffres)
Par Mika Baumeister

Un problème qui fait débat est que lorsqu’il y a un premier vaccin qui est accepté et sûr, il y a un principe d'éthique qui se pose, qui fait que ce n’est plus acceptable de prodiguer de placebo. Actuellement, une partie des patients reçoivent un placebo, et c’est comme cela que nous pouvons voir et juger de l’efficacité d’un vaccin. Par contre, un vaccin autorisé peut être comparé à un nouveau vaccin en phase de test pour vérifier que son efficacité soit aussi bonne, mais il faut alors changer ou stopper les essais cliniques en cours. Il y aura donc des discussions par rapport aux phases de tests après qu’il y en ait un qui ait déjà été accepté.

Tu as mentionné la vérification des différents batchs durant la production, êtes-vous aussi impliqué à ce stade ?

Oui. Lors de la production, nous recevons des échantillons de chaque batch afin d’effectuer des tests et contrôler leur qualité. Les tests sont effectués en laboratoire et nous contrôlons les résultats contre les critères d'acceptance de qualité. Il peut donc arriver que certains batchs (et donc vaccins produits) soient refusés, car ils ne sont pas en accord avec ces critères.

Comment vois-tu 2021 dans ta boule de cristal ?

Je vois une première partie de 2021 très difficile, puis une amélioration due tout d’abord à l’été qui arrive (le facteur climatique), et au fait que nous commencerons la vaccination à échelle plus large. Je vois la deuxième partie d’année bien meilleure, avec beaucoup moins de confinement, et un retour « presque » à la normale. Je pense aussi qu’on aura tous tiré des leçons de vie avec des choses que nous ne voudrions pas voir se reproduire de nouveau.

Nous avons un peu plus de chance en Norvège, qui peut s’expliquer entre autres du fait de la densité de population, mais il faut encore s’attendre à des semaines et mois difficiles à venir.

Mais ce n’est que mon opinion (et pas celle de mon employeur) !

Merci pour toutes ces informations ! Pour finir, quel est ton endroit préféré en Norvège ?

Sans hésiter, je dirais Gudvangen, localisé près de Flåm dans le fjord le plus étroit de Norvège : Nærøyfjord. L’endroit donne plus l’impression d’être dans un canyon que dans un fjord. J’y suis allé cet été, mais j’aimerais déjà y retourner.

Nærøyfjorden depuis Bakkanosi
Nærøyfjorden depuis Bakkanosi Par Vincent CC BY-SA 4.0
Vue de Gudvangen
Vue de Gudvangen Par Leif CC BY 2.0
Gudvangen

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