Portrait de Mylène, de chirurgien-dentiste à gérante d’un café à Fredrikstad
Mylène est bien connue parmi les Français dans le Østfold. Le café dont elle est la gérante à Fredrikstad, Café Cicignon, est non seulement un des cafés les plus « koselig » de la ville, mais c’est aussi un lieu de rencontre parmi les Français de la région.
Pourtant, rien ne la prédestinait à faire ce travail : avant de s’installer en Norvège, Mylène était chirurgien-dentiste à l’international ! Aperçu de ce parcours atypique dans cet entretien.
Quand et pourquoi es-tu venue en Norvège ?
La première fois que je suis venue en Norvège, c’était il y a un peu plus d’une trentaine d’années. J’avais 19 ans et je rêvais de voir le soleil de minuit. J’ai donc fait un travail d’été pour financer mon premier voyage jusqu’au Lofoten, où je suis venue avec une copine.
20 ans plus tard, j’ai retrouvé mon carnet de voyage dans une malle. Quand je l’ai relu, je me suis aperçu que le premier endroit où j’ai posé le pied en Norvège, et où j’ai passé ma première nuit au camping, était Fredrikstad ! Il se trouve que 20 ans plus tard, j’allais avoir mon fils dans cette même ville, improbable !
Que faisais-tu avant de t’installer en Norvège ?
J’ai d’abord été dentiste pour The American Medical Center (AMC). Au début dans la clinique à Moscou, puis à celle de Prague pour y ouvrir leur poste de chirurgie dentaire.
Après quelques années, j’ai déménagé à Paris pour y ouvrir mon propre cabinet dentaire aux Batignolles avec ma meilleure amie. J’y ai rencontré, à la Comédie Française, le frère d’un de mes amis, un Français qui est devenu mon compagnon (mais dont je suis désormais séparée) et qui vivait déjà à Fredrikstad depuis longtemps. Nous avons commencé une relation à distance pendant 4,5 ans entre Paris et Fredrikstad.
Il faut savoir que je suis passionnée par l’Europe de l’Est, ayant des racines familiales polonaise et ukrainienne, en plus de française. J’ai appris le russe en première langue étrangère et aie eu un coup de foudre pour la culture russe, la littérature, l’opéra, la danse.
De plus, Paris étant mon second amour après la Russie, il m’était impensable de venir habiter à Fredrikstad. Finalement, à un moment, j’ai voulu être maman … et j’étais enceinte lorsque j’ai déménagé. C’est alors que Fredrikstad est devenu ma nouvelle vie ! Déménager en Norvège a donc été un très gros changement de carrière, et de vie !
Tu n’as donc jamais été dentiste en Norvège ?
Non, je ne l’ai jamais été. Je suis arrivée déjà enceinte et comme le père de mon enfant voyageait tout le temps, mon bébé est devenu ma priorité. N’ayant pas de famille à Fredrikstad, j’ai décidé de me consacrer à mon fils et l’ai élevé à temps plein pendant 3 ans.
Étant donnée la différence de culture, n’a-t-il pas été difficile de te retrouver dans une ville où tu ne connaissais personne, avec un nouveau-né ?
Je me suis pris des vents avec des Norvégiennes de temps en temps, c’est sûr. Si un Norvégien s'installe dans mon village natal (une petite merveille du sud-ouest qui s’appelle Lauzun), les habitants vont tous venir lui poser des questions (« Est-ce vrai que vous mangez tout le temps du saumon ? », etc.), ils vont être curieux. Mais ici, les gens n’ont pas cette curiosité.
Ce qui est bien à Fredrikstad cependant, c’est qu’il y a beaucoup de couples mixtes, surtout à l’époque de mon arrivée, et donc d’autres étrangers qui sont venus par amour. Cela m’a permis d’avoir des amies australienne, russe, africaine, etc.
Avec les Norvégiens, cela m’a pris plus de temps. Mais à partir du moment où une personne connaît quelqu’un qui me connaît, c’est plus facile, car les gens me situent. Maintenant je suis très gâtée et j’ai des relations avec des Norvégiens formidables.
Fredrikstad
Est-ce qu’avoir un enfant a aidé à l'intégration ?
Oui, avoir un bébé a également aidé pour me faire des relations avec les Norvégiens, car il y a de nombreuses activités sociales autour des enfants. Le mois de décembre est notamment épuisant du fait de ces activités ! L’enfant est ici au cœur de la société, pour le meilleur. Mon fils ne se voit pas déménager en France.
Étant donné ta carrière professionnelle de dentiste, comment t’es-tu lancé en cuisine ?
Je suis restée à la maison jusqu’à ce que mon fils ait 3 ans. Quand mon fils a commencé à aller au jardin d’enfants, j’aurais pu valoriser ma carrière internationale de dentiste, mais j’ai décidé à la place d’essayer de vivre de ma passion (qui devenait presque obsessionnelle) pour la pâtisserie. Je fais partie des personnes qui pensent qu’il vaut mieux mourir avec des remords que des regrets. J’avais 42 ans et j’ai préféré essayer avec le risque de me planter plutôt que de ne pas essayer.
Pour nous qui sommes, au départ, des amateurs, l’accès au domaine semi-professionnel en pâtisserie s’est ouvert grâce aux boutiques, émissions de télévision ou blogs. Ce monde qui était réservé aux professionnels compte maintenant des personnes qui sont en quelque sorte des intermédiaires, c’est-à-dire des gens qui ne sont pas du tout du métier, mais qui ont osé s’y mettre.
Je me suis éduquée toute seule, notamment grâce à Pierre Hermé. J’ai une centaine de livres de pâtisserie chez moi, mais ce que j’aime beaucoup chez lui particulièrement c’est qu’il a une démarche scientifique et qu’il donne toutes les étapes, explications et astuces à savoir pour s’améliorer.
Comment es-tu devenue gérante de Café Cicignon ?
L’image que j’avais des cafés à Fredrikstad était celle d’endroits peu accueillants où l’on trouvait tout le temps les mêmes gâteaux industriels. Le Café Cicignon a été ouvert un jour par une dame norvégienne et je suis tombée amoureuse du local. Quand j’ai vu qu’elle faisait la pâtisserie elle-même, je suis allée la voir et lui ai dit (avec mon norvégien approximatif) que ce qu’elle faisait était formidable. C’est alors qu’elle me demande « Es-tu Mylène ? ».
Il se trouve que les gens qui venaient manger chez moi trouvaient que je cuisinais bien, et me passaient des commandes de gâteaux et de chocolats. Je n’en faisais pas énormément, mais une amie de cette dame m’avait déjà passé commande et lui avait parlé de moi. Elle m’a donc proposé de la rejoindre comme employée.
Six mois plus tard, elle était malheureusement en difficulté et a mis en vente le café. Elle m’a supplié de l’acheter, mais je n’y songeais pas vraiment. Une semaine plus tard, elle tombe d’une échelle et se retrouve aux urgences. Je me suis donc retrouvée à gérer en urgence le café avec une autre jeune fille. Après 2-3 mois, le café n’était toujours pas vendu, et l’idée a commencé à germer en moi. Puis un jour, une personne très intéressée pour reprendre le café est venu et c’est alors que je me suis sentie « agressée » et que j’ai décidé de le racheter. C’était il y a 8 ans.
Le Café Cicignon © Thomas Bassetto
Gérer un café est une activité prenante, aucun regret ?
J’ai adoré travailler au café à temps plein, mais il y a un peu plus de 2 ans, j’ai ressenti un besoin intellectuel et j’ai eu besoin de faire quelque chose d’autre. J’avais donc décidé de mettre en vente le café pour passer à autre chose, sans savoir quoi. C’est alors qu’au même moment, l’école internationale de Fredrikstad m’a offert un emploi de professeur en « Mat & Helse », en anglais. J’enseigne maintenant des modules tels que « la nourriture et la santé » (que je combine avec des principes de chimie et molécules), « la nourriture et l’agriculture » (incluant les conséquences de l’agriculture intensive ou de la production d’huile de palme) et « la nourriture et la culture » (par exemple l’histoire du chocolat ou Marco Polo).
J’ai aussi vendu la moitié des parts du café à une amie. J’y travaille maintenant seulement 3 fois par semaine et lors des évènements (soirées privées, concerts, anniversaires, etc.). Et je travaille petit à petit sur un livre de cuisine, mais sa sortie n’est pas pour tout de suite !
Comment la situation du COVID-19 a-t-elle affecté le café ?
Nous avons été fermés 7 semaines et j’ai vraiment cru que ça allait tuer le café, j’imaginais déjà les premières de couvertures avec ce titre. Au début, nous avons essayé de rester ouverts, mais nous nous sommes fait attaquer sur les réseaux sociaux par une personne qui considérait que certains restaurants et cafés ne faisaient pas leur part du « dugnad », et appelant à notre boycott. Il valait mieux être au chômage technique (permittert) que d’être ouvert et de ne pas avoir de client donc nous avons fermé.
Comme nous sommes une petite structure, nous avons reçu très peu d’aide de l’État. Donc 7 semaines avec quasiment aucunes aides et aucun revenu, ça a été très dur. Pour notre réouverture le 1er mai, un journaliste de NRK est venu une demi-heure avant l’ouverture du café (il n’était jamais venu au café, mais trouvait que notre page Facebook était sympa, avec des photos différentes par rapport aux autres cafés), et nous avons fait une interview en direct à la télévision (début à la 53e minute) ! Ça tombait très bien, car j’avais fait beaucoup de gâteaux pour la réouverture du café.
Suite à cette interview, beaucoup de gens sont venus, et le mois de mai 2020 aura été notre meilleur mois. Nous avons aussi eu beaucoup plus de tips que d’habitude et des petits mots de soutien. J’ai même un voisin qui est venu repeindre la porte bénévolement.
Y a-t-il eu d’autres évènements particuliers qui ont marqué la vie du café ?
Le lendemain des attaques du Bataclan, j’ai trouvé 3 bouquets qui pendaient à la porte. Même si les Norvégiens n’expriment pas beaucoup leurs émotions, j’ai dû créer un petit autel devant la boutique pour qu’ils puissent avoir un endroit où adresser leur compassion.
Pour finir, quel est ton endroit préféré en Norvège ?
Je pourrais te citer plein d’endroits que j’aime en Norvège, mais mon endroit préféré est Hardangerfjord. J’y ai passé une semaine l’année dernière avec mon fils pendant les vacances. Nous avons logé dans une petite maison en rondins au bord de l’eau, et ces images de vergers au bord du fjord sont justes merveilleuses.