Le guide pour s’installer et vivre en Norvège

Portrait de Jean-Philippe, champion de course de chiens de traîneaux installé dans le Hedmark

Par Thomas Bassetto
Dernière mise à jour le 23 juin 2020
Portrait de Jean-Philippe avec ses chiens en pleine course

(c) Eric Roustand

C’est au détour d’une conversation que j’ai entendu parler de Jean-Philippe, un compatriote français installé en Norvège, ancien champion de France mi-distance de courses chiens de traîneaux. Il est installé à Hodalen dans le Østlandet, pas trop loin de Røros, où il continue la compétition et accueille les touristes amoureux de nature avec sa famille.

Au travers de ce portrait, j’ai voulu en apprendre plus sur ce sport un peu méconnu et sur le quotidien d’un musher à la campagne norvégienne.

Quand et pourquoi es-tu arrivé en Norvège ?

Je suis mécanicien de formation mais je suis avant tout un grand passionné par les chiens de traîneaux depuis mon enfance.

J’ai commencé en tant que musher au Pic de Nore qui culmine à la croisée des départements de l’Hérault, de l’Aude et du Tarn d’où je suis originaire. À l’époque il y avait de la neige 2 mois par an, puis le temps passant, de moins en moins de neige malgré la passion grandissante… J’ai fini par partir deux ans en Alaska dans les environs de Fairbanks où les conditions sont optimales pour la pratique de ce sport.

J’ai continué à pratiquer la compétition, puis après avoir découvert la région du Hedmark lors de la compétition Femund en 2007, nous avons commencé à nourrir le projet de revenir avec ma compagne, Stéphanie.

Elle est venue en reconnaissance et a enchaîné les petits boulots et du volontariat dans les fermes le temps de trouver quelque chose. Il nous fallait trouver un endroit assez grand pour le chenil. Au bout de 6 mois, elle a fini par entendre parler d’une ferme sur Tolga à louer avec beaucoup d’hectares dans les environs de Røros. J’ai pris l’avion et pendant ma semaine sur place, nous avons eu la chance de trouver une autre ferme, à Hodalen, à louer encore plus grande et à 800 mètres d’altitude !

C’est ainsi qu’en 2009 nous nous sommes installés à Moen Gard, une grande ferme de bois au pied des hauts plateaux à Hodalen, au cœur de la nature norvégienne.

La ferme en été
La ferme en hiver

Vous êtes maintenant propriétaire de cette ferme et je sais que c’est que c’est le rêve de beaucoup de Français. N’a-t-il pas été trop difficile de l’acheter ?

Nous l’avons louée pendant 3 ans, puis nous avons contacté les 4 propriétaires pour savoir s’ils voulaient la vendre. Ils ont tous dit oui, nous avons eu une chance incroyable. En Norvège, on trouve beaucoup de fermes à plus de 4 millions de couronnes mais nous avons eu un bon prix.

Il faut savoir que l’achat d’une ferme (« småbruk ») vient avec des contraintes, dont celle de devoir y habiter pendant au moins 5 ans. Pour notre part, nous avons mis en location les champs et cela fait 7 ans maintenant que nous sommes propriétaires.

Comment se compose ton chenil ?

J’ai actuellement 27 chiens au chenil et s’y ajoutent quelques chiots chaque année. C’est important d’avoir des bons chiens, mais la lignée et la race ne font pas tout ! On est aussi un mauvais ou un bon entraîneur. Le contact social avec les chiens, c’est ce qui nous permet, avec des petits chenils, d’être au niveau.

Les entraînements sont terminés en cette saison, j’en profite pour faire des petits tours de formation pour les chiens les plus jeunes avec quelques chiens plus mûrs : ça donne de l’expérience aux petits et ça les calme un peu. De temps en temps je vais juste pêcher dans des lacs de montagne avec eux, pas de pression de chrono, les chiens sont heureux c’est que du bonheur.

Chien en gros plan
Chiots
Chien en gros plan
Chien tout blanc en gros plan
Jean-Philippe tenant un gros chien dans ses bras

Une partie du chenil

Comment se passe l'entraînement ?

Je commence début août par des petites sorties de 5 à 10km. Puis les mois s'enchaînent et les entraînements deviennent plus longs et plus intensifs. Sur certaines courses j’arrive avec environ 3 000 km d’entraînement minimum !

Bien sûr, certains chiens ont besoin de beaucoup d’entraînement d’autres moins. Il faut arriver à trouver le planning qui correspond aux chiens et aux objectifs. Je peux très bien, par exemple, faire un run de 120km juste quelques jours avant le départ d’une grande course.

Photo prise du traineau avec les chiens devant
Photo prise du traineau, chient et autre traineau devant

En plein entraînement

J’ai vu sur le site web de ton équipe « Sled Dog Montagne Noire » que tu pratiques la compétition moyenne et longue distance. Comment se déroule une course ?

Je fais de la compétition plutôt en longue distance en effet, mais j’ai commencé en sprint comme tout le monde, avec 4 chiens.

Les courses moyennes et longues distances en Scandinavie font de 200 jusqu’à 1200 km et il faut de 20 heures à … 6 jours pour en venir à bout ! La distance, la météo, le dénivelé, le repos des chiens et du conducteur, l’alimentation : tout rentre en compte !

Les 40 à 70 concurrents doivent être tous être autonomes avec tout ce dont ils ont besoin pendant toute la course (paille pour que les chiens dorment, nourriture, etc.). Il n’est généralement pas autorisé de recevoir de l’aide mais il y a des stations après chaque étape pour se réapprovisionner et éventuellement se délaisser des chiens fatigués ou blessés. C’est pour ça qu’il est très important d’avoir des « handlers » qui font un gros travail derrière : sur certaines courses ils peuvent intervenir pour les massages, la nourriture, etc. Ils font partie de l’équipe et on se retrouve à chaque « check point ». Pour les courses de longue distance comme la Femund, tu as besoin d’un handler qui te mette de grands coups de pied aux fesses, et qui te dise « tu vas faire ci, tu vas t’occuper des chiens, tu vas te bouger » parce que des fois avec la fatigue et le manque de sommeil t’as le cerveau au niveau des chevilles !

Course de traineaux à Røros
En pleine course (c) Tine Sköll Johansen

Niveau résultats, où est-ce que tu te situes ? Est-ce que tu trouves les Norvégiens fair-play ?

Je me débrouille ! Au-delà de mon titre de champion de France mi-distance décrochée en 2004, j’ai fini premier de La Grande Odyssée en 2014. Plus récemment, j’ai fini premier de la Mush Synnfjell en 2017, 2018, 2019 et 2020. J’ai aussi gagné le Gausdal Maraton en 2018, l’Amundsen Race en Suède, la Gruveløpet à Røros 2 fois et cette année la première édition de la Femundløpet 200km ! Quand je participe à une Fedmund, mon objectif est d’être dans les 10 premiers.

Photomontage avec Jean-Philippe et son équipe de chiens

Comme pour le ski de fond, ou tout autre sport d’hiver en fait, je trouve que les Norvégiens ne sont pas toujours très fair-play. Lors de mes deux premières victoires lors de la Mush Synnfjell, les journaux ont souvent parlé de ma « chance ». Il a fallu que je continue à gagner en creusant l’écart avec le 2e pour qu’ils arrêtent de parler de chance. Par contre en 2017 j’ai été disqualifié de la F600 (Fedmunløpet 600 km) alors que j’avais réalisé le meilleur temps sur la 1ère étape. Comme par hasard les vétérinaires ont trouvé que 2 de mes chiens avaient un pouls trop rapide et voulaient que je reste 1 heure de plus que les autres au check point. J’ai refusé et cela m’a valu ma disqualification. Très dur à avaler car je savais que mes chiens étaient en pleine forme et leur pouls était seulement dû au stress et aux conditions autour d’eux.

Il y a aussi des bons côtés à cette adversité : les Norvégiens ont une rage au niveau de la compétition, ça te permet de progresser. Tu ne t'endors pas sur tes lauriers et comme je suis compétiteurs aussi, ça me va.

Pour avoir vécu quelques années en Alaska, comment comparerais-tu les deux régions ?

En matière de sport, les mushers Norvégiens font plus de kilomètres qu’en Alaska. En Norvège j’entends parler de préparations de 5 000 km pour Femund 600 (600 km), alors qu’en Alaska certains ne font pas plus pour se préparer pour l’Iditarod (1 510 km).

Pour ce qui est paysage, les deux endroits sont magnifiques et se ressemblent. On y trouve de belles étendues de neige et de forêt, bref c’est le Nord.

Par contre au niveau faune, l'Alaska a beaucoup plus d’animaux. On y voit beaucoup plus d’élans, de lynx, de loups et d’ours. Pour l’anecdote, une fois où les chiens se mettaient à aboyer fort, je suis sorti voir ce qui se passait et il y avait un ours noir en train de faire la grosse commission à 20 mètres du chenil !

Vous vivez dans un coin un peu reculé quand même, comment s’est passé l’intégration en Norvège pour ta femme et votre fille ? Est-ce que ta compagne a trouvé un travail ? Vis-tu de ta passion ?

En effet, nous sommes un peu à l’écart. Notre domaine fait 250 hectares tout de même, avec tout ce qu’il faut pour le chenil, pour pêcher et se balader en forêt. Il y a environ 40 habitants dans le village d’Hodalen donc nous ne sommes pas dérangés.

Nous avons eu une fille en Norvège, qui a 9 ans maintenant et qui va avec l’école norvégienne. Nous lui donnons des cours de français et elle est bilingue. Ma compagne participe à la compétition, elle maintient aussi notre site web et les réseaux sociaux.

Il faut comprendre que le mushing a un coût, la longue distance implique une logistique importante et coûteuse également. Rien de tout cela ne serait possible sans des partenaires fidèles et confiants qui nous suivent et nous encouragent. Mais ça ne suffit pas pour en vivre, il faut quelque chose à côté.

C’est pour cela qu’avec Stéphanie nous avons créé Escapade Norvégienne, où : nous organisons des séjours nature en Norvège. Au final nous avons plein d’hectares à disposition avec forêt, lacs et rivière, autant en profiter !

Quelles sont les principales activités que vous proposez ?

Nous sommes surtout connus, pour la pêche à la mouche. Ce n’était même pas mon domaine de compétence, j’étais un vrai néophyte mais nous vivons dans un endroit avec de grosses densités de poissons (brochets, perches, ombres et truites) donc dès le début nous avons eu des clients venant de loin pour pêcher. Certains de nos clients participent même à des concours de pêche à la mouche à l’international. C’est un beau sport, proche de la nature, et nous relâchons 99% des poissons que nous attrapons !

Pêcheur sur un bateau
Pêcheur dans une rivière
Pêcheur avec sa prise
Pêcheur sur son bateau
Pêcheur avec sa prise

La pêche sauvage

On propose cette activité du 15 juin à début octobre. C’est un travail saisonnier qui s’enchaîne bien avec la saison de chiens de traîneaux et je suis au contact de la nature toute l’année : ça me va très bien.

Nous proposons aussi d’autres programmes, au coup par coup. Il nous arrive d’organiser de la pêche itinérante en canoë-kayak, des sorties en bivouac de lacs en lacs sur plusieurs jours, etc. Quand les gens nous contactent avec une idée et nous faisons un programme adapté. Pas besoin d’être un grand sportif, on s’adapte !

Nous acceptons aussi des clients en hiver, nous avons des pistes de ski de fond qui passent à 50m de la maison donc pour des gens passionnés de ski de fond c’est parfait. Les chiens, c’est pour la compétition même si pour certains clients sincèrement intéressés nous faisons quelques sorties.

Nous faisons aussi table d’hôte et mêlons gastronomie française et produit locaux pour le plus grand plaisir de nos hôtes.

Comment le coronavirus vous a-t-il affecté ? Allez-vous recevoir de l’aide de l’état ?

Nous sommes normalement complets tout l’été de début juin à fin septembre, mais cette année, rien. Le secteur du tourisme est le premier à souffrir de cette crise et nous n’y échappons pas car notre clientèle habituelle est principalement francophone et les frontières étant fermées beaucoup ont dû annuler leurs séjours. En contrepartie, tout le monde dit que les Norvégiens vont passer les vacances d’été dans le pays pour une fois, mais nous ne le ressentons malheureusement pas en ce qui nous concerne.

Heureusement nous sommes prévoyants et nous avons de l’argent de côté qui nous permet de ne pas mettre la clé sous la porte, mais cette année va être difficile. Nous sommes déjà à 350 000 nok de manque à gagner depuis le début de l’année par rapport à 2019.

Nous avons fait les démarches pour recevoir de l’aide de l’état mais nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusions.

Nous essayons de mettre un vrai programme en place pour cet hiver avec plein de nouvelles activités, pour pouvoir rebondir suite à la crise.

Pour les personnes qui souhaitent en savoir plus sur votre offre, comment peuvent-ils en savoir plus et éventuellement vous contacter ?

Nous sommes en train de refaire le site web mais ils peuvent quand même y jeter un œil ainsi que sur notre page Facebook. Nous sommes joignables sur contact@escapade-norvegienne.com.

Pour finir, quel est ton endroit préféré en Norvège et pourquoi ?

Ce n’est vraiment pas évident de répondre à cette question car j’ai vu plein de choses et beaucoup de paysages fantastiques en Norvège.

Pour n’en donner qu’une je dirais la région du Finnmark en hiver. C’est un endroit splendide que j’ai parcouru plusieurs fois et c’est là que j’ai eu les meilleures sensations.

Photo vue de haut du musher et son traineau filant sur une grand pleine de neige ensoleillée

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