La communauté française et francophile de Norvège attendait une réponse depuis la fin 2019 : l’Institut français de Norvège va-t-il fermer ?
Contexte
Nous publiions un article exclusif du 21 novembre 2019, informant nos lecteurs de la décision du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères de fermer l’Institut français de Norvège d’ici juin 2020. Avec autour de 6000 Français installés en Norvège et de nombreux Norvégiens et étrangers francophiles, la mobilisation a été importante pour maintenir cet institut en vie.
Une pétition avait été lancée et signée par 2880 personnes (à ce jour), et des pressions furent exercées à un haut niveau de l’Etat. Dès le 29 novembre le Ministre annonçait en pleine séance publique qu’il ré-examinerait la décision de fermer l’Institut français de Norvège et depuis nous attendions des nouvelles.
La fin de l’année et l’adoption du Projet de Loi de finances 2020, nous avons enfin une réponse qui nous vient principalement d’une lettre du Ministre de l’Europe et des affaires étrangères Mr Jean-Yves Le Drian datée du 2 mars 2020 que nous avons pu consulter. Cette lettre est une réponse au courriers envoyés en septembre 2019 et en janvier 2020 par Mme Hélène Conway-Mouret, la Vice- présidente du Sénat et Sénatrice pour les Français de l’étranger, où elle lui demandait de revenir sur sa décision de fermer l’Institut français, au regard de son importance pour la coopération franco-norvégienne. Un entretien avec l’ambassadeur de France en Norvège Mr Pierre-Mathieu Duhamel fin avril 2020 nous a aussi permis de mieux comprendre la décision finale du Ministre.
Les décisions en résumé
- L’antenne régionale de l’Institut à Stavanger ferme définitivement.
- Le bureau central reste ouvert, et continuera ses activités depuis le bâtiment à Holtegata à Oslo.
- Les économies budgétaires demandées par le gouvernement au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères sont maintenues. Presque 80% de la masse salariale de l’Institut disparaît, et uniquement les employés en contrat expatrié lié au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères sont retenus. On passerait donc de 43 employés fin 2019 (Oslo et Stavanger) à 9, voire 6 dans la structure finale.
- Il y a une externalisation des cours de français qui ne sont plus opérés ni financés par l’Institut français de Norvège. Par chance une nouvelle structure très professionnelle a déjà repris les cours de l’Institut. Elle a été créée par deux anciens employés de l’Institut ainsi que des fondatrices des Mousquetaires.
- Notons que les trois autres instituts devant fermer en même temps : le Brésil, le Costa Rica et le Canada dans le Projet de loi de Finances 2020 fermeront comme prévu.
Ce que dit la lettre du Ministre
Le Ministre écrit dans sa lettre à la Sénatrice:
« J’ai finalement décidé de maintenir cet EAF [ndlr: Établissement à autonomie financière, dans ce cas l’Institut français de Norvège] compte tenu des nouvelles considérations qui ont été portées à mon attention. Il y a essentiellement trois raisons à cela:
- Alors que l’évaluation préliminaire de la situation financière de l’Institut français de Norvège faisait apparaître une faiblesse de l’autofinancement liée au déficit important de cours de langue ces dernières années, l’externalisation de cette activité permettra d’amoindrir considérablement les charges notamment de personnel, pesant sur l’Institut comme sur le budget du service culturel de l’ambassade.
- L’EAF reste un réceptacle de financements dédiés au partenariat culturel qui représentent une part substantielle de l’activité de diplomatie d’influence en Norvège. Si nous ne maintenons pas l’EAF, nos partenaires norvégiens risquent de se désengager de nombres d’activités, au premier rang desquelles la contribution au financement du lycée René Cassin d’Oslo;
- Il s’agit de préserver la « marque » Institut français de Norvège dont la perspective de disparition a troublé les autorités norvégiennes et la communauté française en Norvège ».
Le Ministre nous informe aussi dans cette lettre que « l’antenne de Stavanger, qui est (…) structurellement déficitaire, de l’Institut français de Norvège sera bien fermée ». La communauté française de Stavanger perd donc un de ses piliers de la vie francophone et francophile, à peine un an après la fermeture de l’école française de Stavanger.
Réactions à chaud
Mr Christian Gaussen, franco-norvégien à l’origine de la pétition qui a réuni 2880 signatures, se « félicite de la très forte mobilisation des communautés françaises et francophones. La décision finale n’est pas très satisfaisante, mais pour essayer d’en voir le côté positif, le pire a été évité et l’Institut n’est pas tout à fait mort, juste en semi-coma. Si la fermeture totale avait été actée, une reprise aurait été beaucoup plus improbable.”
Selon Mr Stéphane Mukkaden, Conseiller consulaire des Français de Norvège et d’Islande « le gouvernement prétend revenir sur sa décision de fermer l’Institut Français mais ne change absolument aucune des décisions prises. Les employés licenciés ne sont pas réintégrés et l’offre tournée vers le public est bel et bien privatisée. On a de la chance, cette offre est reprise par 2 entrepreneures fantastiques et extrêmement compétentes, Hélène du Parc et Marion Tanguy, et je les soutiens de tout coeur ».
La masse salariale de l’Institut passe de 43 à 9 (ou 6) personnes
La raison initiale de fermeture de l’Institut est une demande du gouvernement au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères de « rendre des postes » afin de faire des économies. Selon l’administration de l’Institut, en 2019, celui-ci employait:
- 7 agents travaillant au sein de l’institut employés directement par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (contrat expatrié),
- 10 agents non enseignants employés directement par l’institut (contrat norvégien), et
- 24 enseignants de français (contrats norvégiens, souvent en temps partiel)
- 2 personnes à Stavanger
En externalisant les cours de français, le Ministère fait donc une économie de 24 postes d’enseignants. Une source souhaitant rester anonyme proche de la direction de l’Institut nous informe qu’au minimum 8 des 10 employés avec contrat de droit local sont aussi concernés par les changements. Les deux employés de l’antenne de Stavanger perdent aussi leur emploi dû à la fermeture totale du bureau local. Il resterait donc maximum 9 personnes au lieu de 43. La même source nous indique par ailleurs qu’au final l’Institut pourrait muter plusieurs employés vers l’ambassade de France en Norvège et il n’emploierait finalement que 6 employés au total. Soit une réduction de près de 80% de la masse salariale dans le meilleur des cas. Dans la lettre envoyée par Mme la Sénatrice Conway-Mouret en 2019, les 6 employés restants étaient déjà prévus avant le changement de décision du Ministre.
Les cours de français perdent le financement du gouvernement
Le Ministre nous apprend donc que, comme prévu, le gouvernement français ne financera plus les cours de français en Norvège qui selon sa lettre étaient déficitaires.
Le site de l’Institut français nous indique que deux anciens employés et enseignants de l’Institut Gilles Vogt et Magali Rouyter-Johnsen se sont associés à la structure Les Mousquetaires et assurent la continuité des cours de français depuis mars 2020 dans leur nouvelle structure KULT Norge. Ils assureront les cours de français à Oslo, mais rien n’est prévu à notre connaissance à Stavanger. L’ambassadeur de France en Norvège Mr Pierre-Mathieu Duhamel nous apprenait dans un entretien du 28 avril 2020 que « l’Institut français restera dans les mêmes locaux où il accueillera, dès que la reprise des cours sera possible, les activités du centre de cours, dorénavant assurées par la structure Kult ». Les prix ne changeront pas non plus.
L’offre de cours est donc maintenue voire améliorée au vu de l’expérience combinée des anciens employés de l’Institut et des Mousquetaires.
La France ne veut pas risquer de perdre les financements norvégiens pour la culture
La seconde raison avancée par le Ministre est que les deux institutions françaises établies en Norvège que sont l’Institut francais et le lycée René Cassin reçoivent tous deux des fonds du gouvernement norvégien. Dissoudre l’Institut francais aurait donc probablement mené à la perte des subventions norvégiennes à l’Institut: 233 000 EUR par an (environ 2,5 millions de NOK par an). Le Ministre s’inquiète aussi dans cette lettre que « Si nous ne maintenons pas l’EAF, nos partenaires norvégiens risquent de se désengager de nombres d’activités, au premier rang desquelles la contribution au financement du lycée René Cassin d’Oslo ». L’école française perçoit depuis décembre 2017 3,3 millions d’Euros du ministère de l’éducation norvégien et 1,2 millions d’Euros de la municipalité d’Oslo pour le fonctionnement de la maternelle enregistrée comme “barnehage”. Un total de 4,5 millions d’Euros par an soit environ presque 50 millions de NOK.
L’ambassadeur Mr Duhamel nous confirme que « l’ambassade est aussi très attentive à la coopération éducative en continuant à soutenir activement le lycée français René Cassin d’Oslo ainsi que les programmes accueillant de jeunes Norvégiens en France dans le cadre des sections norvégiennes ou des baccalauréats professionnels ».
Qu’advient-il de la francophonie en Norvège et ailleurs?
Plusieurs questions demeurent sans réponse.
Lorsqu’une entité extérieure et sans fonds publics prend en charge intégralement l’offre de cours de français, qu‘advient-il si elle en venait à connaître des difficultés financières, voire une faillite? Même si cela n’est pas souhaitable, c’est envisageable par ces temps de pandémie. « En cas de besoin de financement, même temporaire, pour maintenir l’offre de cours de français en Norvège, ni le Ministère ni l’Institut francais de Norvège ne les aidera à moins d’une mobilisation du public » nous indique Mr Mukkaden.
La fragilité d’une externalisation totale pourrait donc affaiblir les ambitions de la France pour la francophonie dans le monde. En mars 2018 le Président Macron faisait un discours à l’Institut de France où il est mention de « renforcer la place de la langue française dans les pays où elle est apprise comme langue étrangère ». Le Projet de loi des Finances de 2019 y mentionnait aussi la synergie culture-langue comme une priorité.
Qu’advient-t-il de l’offre culturelle française et de la coopération scientifique?
La continuité de l’offre culturelle de l’Institut, et la coopération scientifique qu’elle assurait jusqu’à présent sont les d’autres grandes interrogations de ce changement. La France et la Norvège ont signé en 2018 un nouvel accord-cadre relatif à la coopération dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique, de l’innovation, de l’industrie et de la culture, et l’ambassadeur de Norvège Mr Pierre-Mathieu Duhamel nous assurait lors d’un entretien le 28 avril 2020 que ces pôles seront « renforcés » sans donner de détails sur les modalités de ce renforcement.
Il ajoute que même si les cours de sont plus assurés directement par l’Institut, « la coopération linguistique et éducative en Norvège n’est pas externalisée. C’est bien l’institut qui va poursuivre les activités de coopération linguistique et de promotion de la langue française en lien avec les partenaires locaux et notamment le ministère norvégien de l’éducation ».
Note de l’auteur: De nombreuses personnes clé dans ce dossier ont été sollicitées à de nombreuses reprises entre octobre 2019 et mai 2020, mais ces demandes ont toujours trouvé lettre-morte chez le député Alexandre Holroyd, la députée Anne Genetet ainsi que la directrice de l’Institut français de Norvège Mme Catherine Crosnier.
Dossier déjà évoqué en novembre 2019 et qui a fait l’objet d’un consensus politique absolument remarquable de tous les partis politiques représentés au Parlement en France. Aux interventions d’élus relayées ici, s’ajoute les activités de nombreuses parties prenantes et un rapport d’audit des députés LREM Anne Genetet et LR Didier Quentin qui a fait l’objet d’un débat à la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale et qui revenait très longuement sur l’avenir de l’Institut français d’Oslo. Ces deux parlementaires interpellaient directement le ministre Jean-Yves Le Drian, qui avait finalement répondu favorablement à ce dossier fin novembre 2019 au Sénat.
Les députés de tous bords sont extrêmement critiques lors de une séance le 13 novembre 2019 de la Commission des affaires étrangères sur la décision de l’administration centrale du quai d’Orsay concernant l’Institut français. Pour en suivre le détail: http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b2408_rapport-information
C’est vraiment important de travailler de concert pour éviter que toute polémique nuise à l’ensemble de la présence française en Norvège, notamment pour ce qui est du lycée français d’Oslo – dont l’avenir dépend en partie du soutien norvégien. Nul doute que ce thème fait l’unanimité parmi les français de Norvège.